C’était un jour gris au col frileux. Un de ces jours de pluie malheureux. Les rues détrempées et jonchées de débris de verre, de tracts et d’imprimés artisanaux délavés, de poubelles renversées et de détritus épars, de galets lacrymogènes et de chaussures solitaires égarées dans la cohue. La manifestation de la veille avait laissé derrière elle le chaos d’un champ de bataille. Là des cadavres d’automobiles calcinées, là des vitrines de boutiques éventrées, ici des traces de sang sur le mur, là bas un squelette de barricades condamnant la rue Linang Fu. Les rares piétons dehors zigzaguaient en trottinant sous leurs parapluie. Personne ne s’attardait sur les lieux et tous ne regardaient que le bout de leurs pieds comme s’il fallait fermer les yeux sur les faits. Quelques voitures roulaient au pas entre les décombres. Les habitants avaient reçu l’ordre de rester chez eux devant la télévision et d’attendre de nouvelles instructions. Les agents de services avaient commencé à déblayer les voies de circulations mais le chantier était titanesque. L’armée était attendu en renfort d’ici demain mais pour l’instant, ce n’était que pluie de silence lavant les rues. Lima se rendait à l’hôpital pour avoir des nouvelles de sa sœur qui n’était pas rentrée hier. Prise dans un mouvement de foule sous la charge des policiers en armures, elle était tombée et s’était faite piétiner. A terre, comme elle se débattait dans la confusion de la charge, les policiers l’avaient matraquée . Elle travaillait dans le Coffee shop à l’angle de la rue Wukin xi, là où un groupe de manifestants avaient tenté de se réfugier pour échapper aux projectiles qui volaient dans tous les sens. Elle était barricadée à l’intérieur avec les autres quand ils avaient forcé l’entrée. Le Coffee shop q’était fait avaler par le chaos de la rue en révolution, l’obligeant à sortir pour fuir comme les autres. C’était là qu’elle était tombée, là que les policiers l’avaient matraquée comme les autres et laissée à terre pour les ambulances de troisième ligne. Une chance qu’elle en soit sortie vivante. Les médias actualisaient le décompte depuis 24h. Pour l’heure, 23 morts, 153 blessés et 209 incarcérations. Shinjee avait vraiment eu de la chance. Mais la plus grande peur de Lima pour Shinjee venait du risque d’arrestation qu’elle encourait pour rébellion, ce qui pesait sur quiconque se trouvait dans la rue au moment de la charge des policiers. Ici, la justice est aveugle et pourtant, la sécurité veille en plan large sur chacun d’entre nous de son œil fixe à l’angle de chacune de nos rues. Les chemins sont quadrillés, les sentiers battus, les voies tracées. Il est déconseillé de faire un pas de côté, d’être exalté et curieux. Tout le monde le savait et marchait tête baissée, le nez dans le pavé.
Lima ressemblait à une poupée marionnette sous sont immense parapluie bleu ciel qui faisait d’elle une bulle de soleil sur fond gris. Un pixel de paradis. Elle filait et se faufilait en claquant de flaque en flaque en direction de l’hôpital. Il lui faudra 30 à 45mn de jogging de gazelle pour arriver devant le bâtiment officiel et s’enregistrer. Le hall de l’accueil était large, haut et spacieux. Il résonnait comme un hall de gare. Pour accéder aux visites, il était nécessaire de passer par un vestiaire pour s’équiper de protections et déposer ses affaires inutiles. Un agent vérifiait votre sac et même les fleurs. Lima n’avait rien d’autre que sa carte d’accès dans les mains, rien dans les poches, juste un sac à dos pour le repas et un thermos de thé. Tout à coup et tout en marchant le long d’un couloir immense, Lima s’aperçut qu’il lui manquait son parapluie. Elle s’arrêta net et fit immédiatement demi-tour. Il devait être resté à l’accueil… Ou peut-être posé dans la salle d’attente ? Lima n’en était pas sûre. Elle l’aimait beaucoup ce parapluie. Elle l’avait choisi et personnalisé elle même. Elle trouvait ça très beau d’avoir un parapluie qui affiche grand soleil et ciel bleu justement parce qu’il pleut et que le ciel est gris comme la cendre. Elle ne le trouva pas au bureau des enregistrements. Il n’était pas non plus au vestiaire ni dans la salle d’attente. Lima éprouva un profond regret à l’idée d’avoir perdu son joli parapluie. Elle l’avait choisi grand et large pour pouvoir marcher à deux bien à l’abri. Lima se résigna à reprendre sa visite. Traversa le long couloir pour accéder aux assesseurs qui distribuaient les étages. Lima avançait dans les corridors en suivant la piste d’un panneau « hospitalisation courte ». Elle était au deuxième niveau, marchait en direction des chambres, le nez dans les fenêtres. Dehors tout était gris, vert d’eau, sale. Déprimant. Et tout à coup, un parapluie bleu ciel du paradis traversa le jardin latéral par les allées qui mènent à la sortie. Lima n’en revenait pas. C’était son parapluie qui partait au bras d’un inconnu. « Mon parapluie ! » S’étouffa Lima. Mais il était déjà loin. Impossible de lui courir après. Impossible d’appeler ou d’interpeller quelqu’un. Impossible, comme une fatalité. Son parapluie avait disparu au coin de la rue.
Toute l’aile du bâtiment se dispersait en une multitude de couloirs et des sections de chambres numérotées à la centaine. Shinjee était dans une chambre de six lits avec cloisons de rideaux bleus, murs blancs et combinaisons roses. L’intimité était très limitée. Elle le savait. Mais quel soulagement de la voir et de pouvoir lui parler. Elle posa leur petit pique-nique sur la desserte et voulu l’aider à s’asseoir. Elle avait le visage rouge et tuméfié, un bandage sur le nez et des tuyaux d’assistance respiratoire. Le torse comprimé dans un corset d’époxy. Shinjee était vraiment en très sale état. Lima l’embrassa sur le front et redressa à peine le dossier. Elle savait que le repas resterait là, intact et froid. Shinjee était encore très faible et sous calmant. Elle ouvrait péniblement l’œil qu’il lui restait sans bandages mais ne pouvait pas articuler grand chose. Lima lui pris la main et la serra sur son cœur. « Ne t’inquiètes pas. Tu as juste besoin de te reposer. Il faut attendre… Je viendrai tous les jours. C’est pas si loin tu sais. » Lui dit-elle. Il n’était de toutes façons pas encore temps de parler d’autre chose. Cette 1ere visite fut très brève. Shinjee était vraiment très fatiguée et Lima était bouleversée.
En repartant, elle pleurait silencieusement. Sans parapluie, sans capuchon, sans entrain. Elle mis 2h pour rentrer en marchant sous la pluie. Elle était trempée comme une soupe quant elle poussa la porte de son appartement. Elle se changea et se posa sur son lit. Elle ouvrit les applications de l’actualité pour essayer de savoir ce que disaient les médias. Officiellement, il ne se passait rien de très grave. Rien qui ne soit pas sous contrôle. L’armée déblayait les rues et les offices. Les lignes de bus et les stations de métro seraient toutes opérationnelles d’ici demain matin et tous les moyens étaient mis en œuvre pour un retour à la normale sans délai. Et sur le mur criblé d’impacts et tâché de sang, un vandale contestataire graffait à la bombe rouge, « pas de retour à l’anormal ! »
Pour l’heure, officiellement, les activistes étaient arrêtés et l’insurrection matée. Le mot révolution était totalement absent des analyses. C’était à se demander si le mot même représentait un danger ou une menace. Pourtant les journalistes indépendants titrait « La révolution des parapluies ». A l’étranger, on trouvait ça joli et presque romantique. Mais ici, c’était la saison de la mousson, personne ne sortait sans bottes ni parapluie. La contestation étudiante avait rapidement pris de d’ampleur sur les réseaux et était rapidement passée de la manifestation au soulèvement pour finir en révolution. Révolution qui n’avait rien de franchement très romantique. On arrêtait des étudiants et des journalistes par dizaine depuis plus d’un mois. Certains militants avaient dû fuir leurs domiciles et trouver refuge dans les réseaux souterrains de la ville. Les autorités les traquaient sans relâche en utilisant tous les moyens à leur disposition. Téléphone, vidéo surveillance, cartes électroniques CB, bus, carte d’étudiant. Il était très difficile de passer dans les mailles du filet. Pourtant, c’était belle et bien la mousson qui avait permis l’émergence et l’organisation d’une résistance. Les parapluies étaient devenus des accessoires de camouflage qui leur permettaient de se soustraire à toutes les caméras de vidéo surveillance. La mousson était la saison propice pour une révolution. On pouvait circuler librement, se rencontrer et échanger sans risquer une descente de police. La pluie lavait les rebelles de tous soupçons.
Lima vivait seule avec sa sœur dans un minuscule studio. Une chambre avec plaques électriques, deux futons roulés et déroulés tous les jours et sanitaire collectif au bout du couloir. Shinjee travaillait au Coffee shop la journée et suivait des cours du soir pour devenir infirmière. Lima était dans sa deuxième année de droit à l’Université tout en faisant des ménages chez des particuliers. Leurs parents vivaient en province, à huit heures de la grande métropole. Ils travaillent dur pour leur verser une pension qui suffisait juste à payer le loyer, mais ils étaient fier de pouvoir leurs permettre d’étudier pour qu’elles puissent avoir une meilleure situation que la leur. Des Lima et des Shinjee, il y en avait des milliers qui se serraient la ceinture sur les bancs de toutes les facultés de la ville. Mais depuis la pandémie, les confinements successifs et surtout la surveillance institutionnalisée de la population asservie de sanctions sociale au moindre écart, la jeunesse avait perdu ses rêves et ses illusions d’avenir. Pour la plupart, l’enfermement, les restrictions, les sanctions et les pénuries alimentaires, les laissaient seuls et désœuvrés derrière leur écran de téléphone. Les maladies dépressives et les suicides étaient en augmentation de 20% ces deux dernières années. Une boîte de tranquillisant et des somnifères avaient été ajoutés dans les colis alimentaires distribués par le gouvernement pour que la population puisse prendre son mal en patience. Mais la patience a des limites.
Depuis dix jours, Lima rendait visite à sa sœur chaque après midi. Par deux fois, elle avait aperçu passer au loin son parapluie au bras d’un inconnu qu’elle avait pu identifier comme étant un homme d’apparence plutôt jeune. Il devait lui aussi rendre visite à quelqu’un. Elle nota que les heures correspondaient à celles des visites et qu’il empruntait toujours la sortie ouest. Elle décida d’essayer de l’attendre à sa prochaine visite pour lui demander de bien vouloir lui rendre son parapluie. Shinjee allait beaucoup mieux. Son visage avait dégonflé et on lui avait enlevé son assistance respiratoire. Les radiographies du thorax avaient révélé plusieurs fractures des côtés et le pronostic de rémission porté à plusieurs mois. Les frais d’hospitalisation allaient achever de ruiner leurs parents. Il était nécessaire d’envisager une convalescence à domicile au plus vite. Mais c’était encore trop prématuré. En attendant, Lima avait repris la place de serveuse de sa sœur au Coffee shop qui avait réouvert depuis une semaine et elle enchaînait les ménages le reste du temps. Elle étudiait tard le soir et suivait quelques cours en ligne pour ne pas perdre pied et maintenir ses prétentions au diplôme. Les journées étaient longues et difficiles. Elle se privait de tout superflus et même de quelques essentiels. Plus de gel douche ni de shampoing, juste une savonnette, plus de viande ni de poisson, juste des œufs, du riz et quelques légumes pour agrémenter le colis alimentaire distribué gracieusement chaque semaine. Du thé et du sucre, voilà quel était son régime quotidien. Chaque semaine, il fallait payer les soins de sa sœur. Pour sortir, même avec un fauteuil roulant, il fallait qu’elle puisse se tenir debout. Lima ne pouvait pas envisager les soins à domicile. Leur logement ne s’y prêtait pas. Elle trouverait bien de l’aide pour monter Shinjee par l’escalier jusqu’au 4eme. Pour le reste, elle se débrouillerait.
Ce jour là, Lima avait vu arriver son parapluie par les fenêtres du deuxième étage du service long séjours où avait été transféré Shinjee. Elle expliqua les fait à sa sœur et décida de descendre pour attendre son voleur de parapluie. Elle se posta dans le corridor de la sortie ouest et attendit. Au bout d’une heure, peut-être plus, un jeune homme aux pas pressés et au visage grave et cerné apparu avec le parapluie de Lima plié sous son bras. Elle bondit de son siège et interpella l’inconnu. Il s’arrêta net et la dévisagea en fronçant les sourcils.
« Monsieur, je m’appelle Lima et se parapluie m’appartient. C’est écrit sur la poignée. »
Il resta figé et silencieux, tourna la poignée vers lui et lu l’inscription qui était gravé. Il poussa un grand soupir qui semblait être autant de lassitude que d’agacement et entreprit de formuler une explication. « Oui… Je suis désolé, sincèrement, il était posé tout seul… Et, j’avais besoin d’un parapluie. »
« Vous m’étonnez ! Tout le monde a besoin d’un parapluie en cette saison ! Il ne vous ai pas venu à l’idée que quelqu’un allait se retrouver sous la pluie ?! »
« C’est a dire que… J’avais posé le mien en échange justement. »
« En échange ? Mais si vous aviez un parapluie, pourquoi prendre le mien ? »
Il semblait très embarrassé mais ne donnait pas l’impression de regretter son geste ni d’avoir l’intention de rendre le parapluie à sa propriétaire. Lima restait polie et fermement décidée à reprendre ce qui lui appartenait. Une horrible grimace de mauvaise fois tordait le visage du jeune homme. Il commença à avancer vers la sortie et proposa de la raccompagner chez elle pour pouvoir profiter du parapluie au moins jusque là. Cette idée étonna Lima.
« J’ai besoin de ce parapluie pour sortir d’ici et traverser la ville. Je vous promets de vous le rendre une fois arrivé. » Lima ne savait pas quoi répondre ni comment interpréter ces paroles. Il y avait chez ce garçon un mélange d’empressement et de gêne, de fatigue et d’audace.
« N’ayez craintes. Je vous assure que je suis sincèrement désolé et que je vous rendrai le parapluie. Mais ne me laissez pas à découvert ici, s’il vous plaît. »
Sa voix était vraiment suppliante. Lima acquiesça et ils sortirent ensemble de l’hôpital. Bien-sûr, il pleuvait des cordes et le bruit de l’eau qui frappait la toile tendue au-dessus de leurs têtes était assourdissant. Ils marchaient vites et respiraient fort. C’est lui qui tenait le parapluie et qui donnait le pas. Ils zigzaguaient par les ruelles sans prononcer un mot. Le retour fut plus rapide que d’habitude pour Lima. Pourtant, elle avait l’impression qu’ils avaient pris un trajet plus long. Arrivés au pied de son immeuble, il resta planté un peu bêtement comme s’il ne savait pas où aller. Lima lui pris le parapluie des mains sans qu’il bougea.
« Je vous remercie… Vous semblez un peu triste et fatigué. Vous avez quelqu’un à l’hôpital vous aussi ? »
Il répondit « Oui, mon frère… Il est tombé pendant les émeutes. Il s’est fait matraquer. »
Il était étudiant lui aussi, vivait dans une piaule avec son frère, lui aussi. Alors Lima eu une vague chaude de compassion pour cet inconnu et lui proposa de monter se réchauffer avec un thé, ce qu’il accepta sans hésitation.
Il s’appelait Yansu. Il faisait partie des opposants en rébellion contre le gouvernement. Il avait était obligé de déserter son appartement pour vivre clandestinement et éviter les rafles. Chaque visite à l’hôpital était pour lui un risque majeur d’arrestation. Il vivait dans la crainte d’être arrêté par la police. Il expliqua très calmement à Lima les raisons qui l’avaient poussé à prendre son parapluie. Lima savait très bien les risques que ce garçon prenait pour se rendre à l’hôpital. Changer régulièrement de parapluie permettait de brouiller les pistes. Il en avait toute une panoplie cachée dans des points stratégiques pour pouvoir se déplacer à la surface en toute discrétion. Le reste du temps, il le passait dans des caves, des sous-sols et même parfois les égouts. C’était là seule façon de se déplacer en échappant à la police et à ses yeux artificiels. Mais les égouts n’était pas sûr. On pouvait y faire toutes sortes de mauvaises rencontres. Il fallait rester en groupe et savoir se défendre ou bien passer quelques alliances avec quelques clans. Tout un monde sous le monde, avec ses chefs, ses lois, ses territoires. Yansu semblait désabusé et très fatigué. Sans doute n’avait-il pas de quoi se nourrir correctement. Mais il racontait tout cela sans la moindre émotion et sans se plaindre. Il n’était pas rentré chez lui depuis des mois. Il n’osait pas. Sa peur était tout à fait légitime. Des gens disparaissaient littéralement du jour au lendemain. Des rumeurs circulaient, toutes plus effrayantes les unes que les autres. Sous le couvert de la pandémie et du confinements, il était assez facile de se débarrasser des perturbateurs, d’emprisonner et d’exécuter tout dissident. Lima commençait à avoir du mal à cacher son malaise. Elle avait lu, elle aussi, les articles de presse avant qu’ils ne soient censurés par le gouvernement et retirés des réseaux. Elle savait bien tout ce qui faisait scandale et polémique. Yansu devenait un témoignage direct de ce qu’elle ne pouvait pas voir, ni même imaginer. Il parla longtemps mais lentement et calmement. Lima l’écoutait sans trop poser de question. Elle sentait que Yansu avait besoin de vider un trop plein de lassitude. Depuis quand n’avait-il pas dormi sereinement, dans un lit propre ? On voyait qu’il était épuisé tant physiquement que moralement. Et puis Yansu cessa de parler et un grand silence emplit la chambre. L’averse s’octroyait une trêve. Tout deux restèrent ainsi, la tête baissée et les mains serrées sur leur bol de thé noir comme dans un recueillement profond. Le temps semblait s’être arrêté. Yansu poussa un grand soupir et la remercia pour son hospitalité. Il finit son thé et se leva pour partir. Debout, le regard droit sur la cité qui s’étalait sous la fenêtre, il réfléchissait déjà au chemin qu’il allait prendre pour rejoindre son QG, quelque part dans l’ombre. Lima le regarda avec émotion. Elle comprenait sa situation et tout ce qui le préoccupait. Ce n’était pas le bon moment pour partir sans parapluie. Alors elle se leva et lui dit qu’il pouvait rester. Elle proposa de préparer un repas qu’ils partageraient en attendant que la pluie revienne. Ils mangèrent sans plus parler d’autre chose que de Lima et de ses études. Il montra beaucoup d’intérêt à ce qu’elle lui racontait de sa vie de jeune fille volontaire et pleine d’ambition. Comme si le monde extérieur n’était plus ce qu’il était, comme si leurs rêves avaient encore un avenir. Cela leur redonna le sourire. Un sourire timide et fragile, mais une lueur d’espoir quand même. La nuit s’annonçait sur les toits de la ville. C’était le bon moment pour prendre congé. Il fallait rentrer avant l’heure du couvre-feu. Lima sentit son cœur se serrer à l’idée de le voir partir ainsi, alors qu’ils venaient tout juste de se lier d’amitié. Elle lui tendit son parapluie et lui dit de faire attention à lui.
« Tu n’as qu’à passer me chercher demain pour aller à l’hôpital ensemble… »
Ses convenances l’obligeait à refuser son offre, mais les nécessités lui imposaient un compromis. Elle ne pouvait pas le laisser sans parapluie. Peut-être avait-elle aussi envie de le revoir. En tout cas, le prétexte était honorable. Il accepta et repartit avec le parapluie bleu ciel de Lima et un sourire tendre que ses lèvres avaient presque oublié.